Retour sur la jurisprudence SMPAT

L’exemple des concessions hydrauliques

Après avoir profondément rénové l’office du juge dans le cadre des recours visant l’attribution et la signature des contrats administratifs, le Conseil d’Etat a, par sa décision de section Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (SMPAT) du 30 juin 2017 (n° 398445), clarifié les règles applicables aux recours engagés au cours de l’exécution du contrat et tendant à mettre en cause sa validité.

Un jugement rendu par le tribunal administratif de Pau au sujet d’une demande de résiliation d’un contrat de concession hydraulique fournit un exemple intéressant de l’application de cette jurisprudence et des moyens susceptibles – ou non – d’être invoqués par le requérant.

 Jurisprudence traditionnelle relative aux actes détachables afférents à l’exécution du contrat

Nombreux sont les praticiens du droit de la commande publique à s’être interrogés – et, le cas échéant, à avoir fait des insomnies de ce fait – sur les risques de remise en cause de la validité d’un contrat postérieurement à l’expiration des délais de recours ouverts contre le contrat et les actes détachables adoptés dans le cadre de son attribution et de son exécution.

La jurisprudence traditionnelle du Conseil d’Etat empêchait en effet le juriste rigoureux de conclure trop rapidement à l’immunité du contrat à l’issue des délais de recours ouverts contre ces actes.

Si le Conseil d’Etat admettait la recevabilité des recours pour excès de pouvoir formés par des tiers contre les actes détachables du contrat lors de son attribution et de sa signature (CE, 4 août 1905, Martin, Rec. 749), il avait également jugé que les tiers ayant intérêt pour agir étaient recevables à contester la décision de refus de résilier ledit contrat (CE, Sect., 24 avril 1964, Sté de livraisons industrielles et commerciales, Rec. 239).

Le Conseil d’Etat avait ultérieurement confirmé cette jurisprudence tout en déniant aux tiers la possibilité de contester le refus d’une personne publique de saisir le juge du contrat d’une action en nullité (CE, 17 décembre 2008, Association pour la protection de l’environnement du Lunellois, n° 293836).

Les tiers susceptibles d’avoir intérêt à agir contre des contrats administratifs étant nombreux, en particulier au niveau local, les risques de remise en cause des contrats en cours d’exécution étaient importants, en dépit du faible nombre de décisions rendues par les juridictions administratives dans le cadre de la jurisprudence précitée.

Compte tenu de ce risque et dans le prolongement des décisions Commune de Béziers (CE, Ass., 28 décembre 2009, Rec. 509) et Département de Tarn-et-Garonne (CE, Ass., 4 avril 2014, Rec. 70), le Conseil d’Etat a rénové son office et clarifié le cadre juridique applicable à ces recours.

 Recours tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution d’un contrat administratif

Par sa décision SMPAT précitée du 30 juin 2017, le Conseil d’Etat a considéré qu’un tiers à un contrat administratif peut demander à l’administration de mettre fin à son exécution puis, en cas de refus explicite ou implicite, former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat. La recevabilité de ce recours demeure conditionnée à l’existence d’un intérêt pour agir du tiers concerné ; il doit être susceptible d’être lésé dans ses intérêts de manière suffisamment directe et certaine.

Seuls certains types de moyens sont invocables par les requérants. Il s’agit des moyens tirés :

  • De ce que la personne publique était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours.

  • De ce que le contrat est entaché d’irrégularités de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office.

  • De ce que la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général.

S’agissant de ce dernier point, les requérants peuvent invoquer certaines inexécutions d’obligations contractuelles ; celles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général.

Saisi d’un tel recours, le juge administratif doit apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé. Dans le cadre de son office, il incombe au juge de vérifier que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

Le Conseil d’Etat a ultérieurement confirmé le caractère strict de cette voie de recours. Il a ainsi jugé que :

  • De simples irrégularités faibles dans leur étendue et ne révélant aucune intention frauduleuse n’étaient pas de nature à constituer des inexécutions d’obligations contractuelles justifiant une résiliation (CE, 30 novembre 2018, GIE Groupement périphérique des huissiers de justice, n° 416628).

  • La méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence n’est, en l’absence de circonstances particulières, pas invocable à l’appui d’un tel recours (CE, 12 avril 2021, Sté Ile de Sein Energies, n° 436663).

Les irrégularités susceptibles d’entraîner la résiliation du contrat doivent donc être particulièrement graves.

 Application aux contrats de concession hydraulique

Par un jugement du 19 août 2022, le tribunal administratif de Pau s’est récemment prononcé sur le recours formé par une commune afin qu’il soit mis fin à l’exécution d’un contrat de concession hydraulique (n° 1800378).

Dans cette affaire, la commune invoquait tout d’abord la prétendue méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence lors de l’attribution de la concession. Le tribunal a rapidement écarté ce moyen en faisant application de la jurisprudence Société Ile de Sein Energies précitée. Il a en particulier relevé que la commune n’avait invoqué aucune circonstance particulière impliquant que le juge mette fin à l’exécution du contrat litigieux.

La commune invoquait ensuite un moyen tiré de la prétendue méconnaissance des stipulations des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatives aux aides d’Etat. Elle soutenait qu’une aide d’Etat aurait été accordée au titulaire dans la mesure où, du fait des conditions de renouvellement du contrat, il n’était pas assujetti au paiement de la redevance proportionnelle aux recettes de la concession inscrite à l’article L. 523-2 du code de l’énergie. Le juge n'a pas été convaincu par cet argumentaire. Il a relevé que les dispositions instituant cette redevance proportionnelle n’étaient pas applicables à cette concession et écarté le moyen.

Le tribunal a en conséquence rejeté la requête. Cette décision confirme que la jurisprudence SMPAT a vocation à ne s’appliquer que dans des situations très spécifiques, à l’instar de l’incompétence de la collectivité contractante (TA Montreuil, 19 juillet 2018, SIVURESC, n° 1709890). La sécurité juridique et le caractère obligatoire des relations contractuelles prévalent en principe.

Rémi Ducloyer