De l’utilité du référé contractuel ?

Par une décision Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM) du 16 juin 2022 (n° 459408), le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’interprétation des dispositions du code de la commande publique relatives à la modification des marchés publics dans l’hypothèse d’un changement affectant les membres du groupement titulaire. Si cet arrêt a été commenté sous l’angle des règles applicables aux avenants dans une telle hypothèse, il constitue également une excellente occasion de revenir sur une procédure méconnue : le référé contractuel. 

Le petit frère « mal aimé » du référé précontractuel

A l’origine était le référé précontractuel dont l’intérêt majeur est de faire obstacle à la signature du contrat jusqu’à la lecture de la décision juridictionnelle. Différentes faiblesses ayant été identifiées tant en droit européen qu’en droit interne, un recours de nouvelle nature a été institué à la fin des années 2000 : le référé contractuel (ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009).

A l’instar du référé précontractuel, le référé contractuel est ouvert contre les contrats de la commande publique, qu’ils soient régis par le droit public ou par le droit privé. Au-delà du régime applicable au contrat, la juridiction compétente diffère dans ces deux hypothèses.

A l’inverse du référé précontractuel, le référé contractuel peut être introduit après la signature du contrat litigieux, sous réserve de respecter un délai maximal de 31 jours en cas de publication d’un avis d’attribution au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE), ou, en l’absence d’un tel avis, de 6 mois à compter du lendemain du jour de la conclusion du contrat (CJA, art. R. 551-7 ; CPC, art. 1441-3).

La coexistence de ces deux procédures ne signifie pas pour autant qu’un requérant peut indifféremment recourir à l’une ou l’autre. Les cas d’ouverture du référé contractuel sont en effet plus restreints que les cas d’ouverture du référé précontractuel et limités à :

  • l’absence totale de publicité,

  • l’absence de publication au JOUE si celle-ci est obligatoire,

  • la méconnaissance du délai dit de « stand still » (c’est-à-dire de suspension entre la notification du rejet des offres et la signature du marché),

  • la méconnaissance de la suspension de la signature du contrat en cas de saisine du juge du référé précontractuel, et enfin

  • la méconnaissance des modalités de remise en concurrence pour les contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique (CJA, art. L. 551-18 à L. 551-20 ; Ord. n° 2009-515, art. 16 à 18).

L’ouverture par le Conseil d’Etat du recours en contestation de validité d’un contrat administratif à tout tiers susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses n’a fait que confirmer le caractère résiduel de la place dévolue à ce recours (CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994).

Une procédure néanmoins utile dans certaines hypothèses

En dépit de ce qui précède, le référé contractuel peut s’avérer utile. Certaines décisions importantes ont en effet été rendues à l’issue d’une telle procédure. A titre d’exemple, c’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat a jugé que la circonstance que l’offre d’un requérant, ayant la qualité de candidat évincé, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire du contrat en litige (CE, 27 mai 2020, Sté Clean Building, n° 435982), prenant ainsi acte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 4 juillet 2013, Sté Fastweb SpA, C-100/12). Dans ses conclusions prononcées sur cette affaire, le rapporteur public Gilles Pellissier avait considéré que la solution retenue par le Conseil d’Etat pour le référé contractuel vaudrait pour le référé précontractuel.

C’est surtout parce qu’il garantit l’effet utile du recours en l’absence totale de publicité ou en cas de méconnaissance du délai de « stand still » que le référé contractuel peut s’avérer utile, comme le montre l’affaire SHAM jugée le 16 mai 2022 par le Conseil d’Etat.

Référé contractuel et avenant

Dans cette affaire, un établissement public de santé avait conclu avec un groupement conjoint un marché d’assurance responsabilité civile et risques annexes. Au cours de l’exécution du marché, l’établissement public avait acté par avenant la substitution d’un membre du groupement par un nouvel opérateur. Un opérateur concurrent a alors saisi le juge du référé contractuel d’une demande tendant à l’annulation de cet avenant.

Le Conseil d’Etat juge tout d’abord qu’il appartient au juge du référé contractuel de statuer sur un avenant à un contrat uniquement lorsque la conclusion d’un tel accord est soumise aux règles de publicité et de mise en concurrence (point 3). Ce faisant, il transpose au référé contractuel une solution déjà retenue en matière de référé précontractuel dans une affaire concernant la modification du premier contrat « Vélib » (CE, Sect., 11 juillet 2008, Ville de Paris, n° 312354).

Après avoir rappelé cette règle de principe, la Haute juridiction juge que la substitution d’un membre du groupement par un autre opérateur constitue une modification du titulaire du marché qui ne peut valablement avoir lieu sans mise en concurrence que dans les cas prévus par les dispositions de l’article L. 2194-1 du code de la commande publique (point 7).

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat considère que la substitution n’est pas incluse dans ces cas. En particulier, il juge que cette modification n’a pas eu lieu en application d’une clause de réexamen ou d’une option et qu’elle n’est pas intervenue à la suite d’une opération de restructuration de l’opérateur se retirant du groupement (point 10).

Constatant qu’une raison impérieuse d’intérêt général s’oppose à ce qu’il soit mis fin aux stipulations de l’avenant organisant cette substitution, le Conseil d’Etat ne prononce ni leur annulation rétroactive ni leur résiliation avec effet immédiat pour l’avenir et inflige uniquement à l’établissement public une pénalité financière de 5 000 euros (point 14).  

Si l’on peut s’interroger sur l’utilité de cette procédure pour le requérant sur le plan opérationnel compte tenu de l’issue de ce contentieux, ce litige aura néanmoins permis de clarifier davantage le régime juridique et contentieux des avenants des contrats de la commande publique.