Subvention mobile et monopole bancaire : le débat juridique qui s’invite dans votre quotidien

Tout détenteur d’un terminal mobile a déjà sans doute bénéficié du système de « subvention mobile » proposé par les opérateurs et permettant à un client d’acquérir son terminal pour une mise de départ modique (parfois limitée à 1€ symbolique), dans le cadre de la souscription d’un forfait mobile, moyennant une période d’engagement de 12, 24 ou 36 mois et le paiement d’un forfait majoré.

Cette solution de financement a connu un véritable essor avec l’avènement des abonnements téléphoniques, puis des smartphones dont les coûts d’acquisition ne cessent de croître au gré des évolutions technologiques.

Cette solution connaît toutefois actuellement son chant du cygne pour des raisons insoupçonnées du grand public : un épineux débat autour de la qualification d’offre de crédit à la consommation. Ce crépuscule de la subvention n’est pas sans créer des remous chez les opérateurs téléphoniques, lesquels ont dû pallier cette situation aux moyens de nouveaux outils tirés de la réglementation bancaire.

Les origines du débat

Comme souvent en matière de télécoms ces dernières années, le changement de paradigme est le fruit de l’arrivée sur le marché des télécoms du trublion du secteur : Free. Le lancement de l’activité de ce dernier en janvier 2012 a entraîné, comme chacun sait, une profonde restructuration du secteur et a poussé ses trois concurrents (Bouygues Telecom, Orange, SFR) à allumer tous les contre-feux possibles afin de limiter l’hémorragie de clientèle qui en a résulté.

Ainsi, entre juin 2011 et septembre 2012, SFR avait commercialisé des forfaits « Carré » associés à une offre « prix Eco » permettant aux consommateurs de choisir entre :

  • Un abonnement à prix Eco, sans achat de terminal mobile ; ou,

  • Un abonnement avec acquisition de terminal mobile, selon l’alternative suivante :

    • L’acquisition se faisait au « prix de référence » et le forfait au « prix Eco ;

    • L’acquisition se faisait à un prix « attractif » et le forfait était alors majoré pendant une période de 12 ou 24 mois (selon la période d’engagement choisie) à l’issue de laquelle le forfait revenait au « prix Eco ».

Free estimait que cette dernière branche de l’alternative constituait une avance de paiement consentie par SFR à ses clients, lesquels remboursaient ainsi à leur opérateur le prix du terminal mobile à l’issue de la période d’engagement au moyen de la majoration du forfait. Concluant que ce montage caractérisait une offre de crédit à la consommation au sens de l’article L. 311-1 du code de la consommation, Free a assigné SFR devant le Tribunal de commerce de Paris en mai 2012, en particulier pour pratiques déloyales et trompeuses résultant de la méconnaissance des dispositions régissant l’information des consommateurs en matière de crédit à la consommation.

Ainsi débutait le premier acte d’une longue procédure judiciaire dont la « subvention mobile » ne devrait pas sortir indemne.

Une procédure foisonnante

In limine litis, notons que la procédure dont il est question n’est abordée dans la présent billet que sous l’angle restreint (mais ô combien passionnant) de la réglementation bancaire, mais que d’autres questions ont été tranchées de manière éclairante en particulier au regard du droit de la consommation ou de la responsabilité encourue au titre du dénigrement (comme souvent dans les procédures opposant Free à ses trois concurrents).

Suivies par le Tribunal de commerce de Paris (15 janvier 2013, n° 2012033422) et la Cour d’appel éponyme (9 mars 2016, n° 13/01884), les conclusions de SFR ont cependant été écartées par la Cour de cassation (7 mars 2018, n° 16-16.645), laquelle – rappelant que la qualification d’opération de crédit s’entendait notamment de toute facilité de paiement – a estimé que la Cour d’appel aurait dû rechercher si le report du prix d’achat du mobile sur le prix de l’abonnement (résultant de la majoration mensuelle du forfait concomitante à l’acquisition d’un terminal mobile à prix symbolique) ne constituait pas un délai de paiement consenti par SFR à ses clients au sens des dispositions de l’article L. 311-1 du code de la consommation définissant les opérations de crédit.

Sans surprise, la Cour d’appel de renvoi a suivi les conclusions de la Cour de cassation mais la pugnace SFR s’est à nouveau pourvue en cassation, contestant essentiellement la qualification d’offre de crédit et les pratiques déloyales et trompeuses, dont on se doute qu’elles lui causaient un désagréable préjudice d’image. La Cour de cassation a néanmoins écarté l’ensemble des moyens de la requérante, confirmant ainsi l’analyse du juge d’appel, et rejeté son pourvoi (16 mars 2022, n° 19-18.499).

L’entrée en scène de la réglementation bancaire

Si la procédure décrite ci-dessus n’a impliqué que Free et SFR, elle a été suivie de près par leurs concurrents, lesquels ont également proposé à leurs abonnés le mécanisme de la « subvention mobile ». La qualification d’« offre de crédit » par la Cour de cassation a en effet eu pour conséquence majeure de confirmer que la subvention mobile entre dans le champ du monopole bancaire, cette particularité bien française.

Rappelons que le monopole bancaire impose que seuls les établissements agréés à cette fin soient autorisés à effectuer des opérations de crédit à titre habituel (article L. 511-5 du code monétaire et financier, la notion d’habitude étant caractérisée dès la seconde opération de cette nature d’après la jurisprudence). L’obstacle est de taille : l’octroi de crédits en méconnaissance de ce monopole bancaire constitue un délit lourdement sanctionné (peine d’emprisonnement, amendes substantielles et peines complémentaires et accessoires).

Or, la marge de manœuvre des opérateurs en la matière est ténue : le prix en constante augmentation des terminaux mobiles leur impose de trouver des solutions de financement permettant l’échelonnement des paiements correspondants, faute de quoi les clients s’imposeraient à eux-mêmes une sobriété qui ne ferait pas nécessairement l’affaire de leurs opérateurs…

Dès lors, les opérateurs se sont trouvés face à une alternative :

1. Créer leur propre établissement de crédit afin de proposer à leurs clients une offre de financement dédiée pour l’acquisition de leur terminal mobile.

L’on s’en doute, cette voie est épineuse : en plus de nécessiter un investissement conséquent, elle fait entrer les opérateurs dans un nouveau secteur d’activité, assez éloigné de leur cœur de métier. On ne s’étonnera donc pas que seule Orange ait, à ce jour, suivi cette voie avec la création d’Orange Bank. De longue date, des rumeurs ont couru à propos de la création d’un établissement bancaire par Illiad, maison mère de Free mobile ; mais elles sont, à ce jour, restées lettre morte.

2. Développer des partenariats avec des établissements de crédit existants et proposer à leurs clients ces offres « partenaires ».

Si cette voie semble plus simple à mettre en œuvre, elle est toutefois susceptible d’imposer aux opérateurs de se soumettre au statut d’intermédiaire en opérations de banque et services de paiement (IOBSP). Ce statut concerne en effet toute personne, exerçant à titre habituel (plus de 20 opérations par an ou un montant annuel de 200 000€), contre une rémunération ou toute autre forme d’avantage économique l’intermédiation en opérations de banque (qui recouvrent les opérations de crédit), sans se porter ducroire. Ce statut emporte quelques contraintes (existence d’un mandat, immatriculation à l’ORIAS, obligation de formation des vendeurs, contrôle de l’ACPR et du mandataire sur les activités d’IOBSP, soumission aux obligations d’un prestataire de services essentiels externalisés…), mais rien d’insurmontable - semble-t-il - puisque désormais l’ensemble des opérateurs sont inscrits à ce titre dans le registre de l’ORIAS.

Le recours à cette dernière option a été grandement facilité par le développement de FinTechs capables de proposer une solution digitalement intégrée, permettant aux opérateurs de l’inclure dans leurs parcours de vente de manière quasi-indolore pour le client (au temps pour la sobriété). Elle ouvre toutefois la porte à un contrôle par l’ACPR de certaines activités des opérateurs télécoms, contrôle dont on peut penser qu’il ira croissant au regard de la multiplication des problématiques bancaires dans ce secteur (voir les chaînes de valeur des SVA – Service à Valeur Ajoutée – pour une autre illustration). C’est donc un nouvel environnement réglementaire que les opérateurs télécoms doivent désormais maîtriser, avec son autorité dédiée et ses subtilités propres.