Référé précontractuel judiciaire : La vérité est ailleurs - Saison 2

Au cours de la première saison de cette affaire, nous vous avions raconté comment, en partenariat avec un excellent confrère, le cabinet Bréon Ducloyer Avocats avait fait constater par le juge du référé précontractuel du tribunal judiciaire de Paris les manquements d’une entité adjudicatrice à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Le référé précontractuel a ceci de commun avec le droit de l’audiovisuel qu’il est possible de raisonner en termes de saisons : une même procédure de passation peut en effet donner lieu à plusieurs référés. Laissez-nous en conséquence vous conter ici la saison 2 de ce scénario… haletant.

Résumé des épisodes précédents

Le juge judiciaire est compétent pour statuer sur les litiges relatifs à la passation et à l’exécution des contrats de droit privé, y compris lorsque ceux-ci sont soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence. Le droit européen, qui édicte ces obligations, est en effet indifférent à la qualification donnée aux contrats par le législateur ou par le juge en droit interne.

Dans l’affaire évoquée ici, une entité adjudicatrice constituée sous la forme d’une société anonyme avait lancé une procédure de consultation en vue de la passation d’un accord-cadre à bons de commande portant sur la fourniture de matériels de détection de réseaux et des prestations associées.

A l’issue de plusieurs tours de négociation, certains candidats avaient eu la désagréable surprise de recevoir une lettre les informant que leurs offres étaient « inacceptables » au sens de l’article
L. 2152-3 du code de la commande publique, c’est-à-dire qu’elles étaient réputées excéder les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure.

Surpris par cette notification, plusieurs candidats évincés avaient donc saisi le juge du référé précontractuel du tribunal judiciaire de Paris et fait constater par celui-ci que tant leur éviction que le motif invoqué à cette occasion était infondé. Le juge du référé précontractuel avait donc ordonné à l’entité adjudicatrice, si elle entendait poursuivre la procédure de passation de ce marché, de reprendre la procédure d’attribution pour plusieurs lots au stade de l’analyse des offres.

Nouvelle analyse des offres… Identique à la précédente

A la suite des premières décisions rendues par le juge du référé précontractuel, l’entité adjudicatrice a décidé de reprendre l’analyse des offres. Quelques semaines plus tard, elle a notifié aux candidats de nouvelles décisions… strictement identiques à celles qui avaient fait l’objet d’une première censure.

Surtout, les candidats étaient simultanément informés que l’entité adjudicatrice se réservait la possibilité de signer les contrats afférents aux lots litigieux dans un délai de 48 heures… alors que les acheteurs sont tenus de respecter le délai de « stand still » de 11 jours (ou 16 jours en cas d’envoi non dématérialisé), y compris lorsqu’ils sont constitués sous la forme de personnes morales de droit privé (code de la commande publique, art. R. 2182-1).

Le Cabinet a donc assigné l’entité adjudicatrice dès le lendemain de la notification de la nouvelle décision de rejet afin d’éviter toute mauvaise surprise et un débat juridique inutile devant le juge du référé contractuel. Ce dernier aurait en effet pu être saisi après la signature des marchés compte tenu de la méconnaissance du délai de « stand still » mais il demeure préférable, lorsque cela est possible, de s’épargner de tels débats juridiques. Et la procédure de référé contractuel demeure généralement moins efficace que la procédure de référé précontractuel

Déclaration sans suite

A l’issue des débats contentieux intervenus au cours de la seconde instance de référé précontractuel, il est apparu clairement que la procédure n’était pas uniquement entachée de vices de pure forme.

L’entité adjudicatrice s’est donc finalement ravisée et a décidé de faire droit aux demandes des candidats évincés en déclarant cette procédure sans suite.

Cet abandon était officiellement motivé par l’existence des recours formés devant le juge du référé précontractuel et la circonstance que leur durée aurait entraîné l’expiration du délai de validité des offres. Ne souhaitant pas expressément reconnaître le bien-fondé des critiques formulées par les candidats évincés, l’entité adjudicatrice soutenait que cet abandon traduisait une simple prise en considération de l’aléa judiciaire.

Alors que les procédures de référé précontractuel doivent en principe être jugée dans un délai (indicatif) de 20 jours, ces deux procédures judiciaires avaient en effet eu pour conséquence d’empêcher la signature des contrats pendant un délai de près de 9 mois. Ceci n’était pourtant pas dû au comportement des parties mais aux aléas propres à la procédure contentieuse civile et à la multiplication des audiences de procédure retardant les plaidoiries et la mise en délibéré.

Les arguments avancés par l’entité adjudicatrice n’ont pas convaincu le juge. Si celui-ci a reconnu qu’il n’y avait plus matière à référé précontractuel compte tenu de l’abandon de la procédure, il a néanmoins confirmé que cet abandon n’était nullement imputable aux raisons avancées par la défenderesse. Il a clairement rappelé que l’entité adjudicatrice était libre de demander aux candidats de proroger la durée de validité de leurs offres et que le droit d’ester en justice constituait un droit fondamental des requérants. Il a enfin condamné l’entité adjudicatrice à verser à la requérante des frais irrépétibles.

Rémi Ducloyer