Les dark stores : dernières opportunités à saisir !

L'essor du quick commerce

Depuis le début de l'année 2020, les rues de plusieurs grandes villes de France ont vu se multiplier de nouveaux services de livraison de courses alimentaires rapides, les “quick commerces”, accompagnés de leurs désormais traditionnels livreurs et de leurs enseignes obscures : les "dark stores”.

Les dark stores sont au quick commerce ce que les dark kitchens sont à leur grande sœur, la livraison de repas par des enseignes telles que Just Eat, Uber Eats ou Deliveroo. Les dark kitchens sont des cuisines qui ne sont pas destinées à accueillir des clients car leur organisation est tournée vers la livraison rapide. Les dark stores sont des locaux dans lesquels sont préparées les commandes des clients. Afin de permettre la livraison rapide de ces derniers - en 10 à 15 minutes - ces locaux sont généralement situés dans la zone de desserte des livreurs, c'est-à-dire au cœur des grandes villes telles que Paris, Lyon ou encore Bordeaux.

L'essor de cette activité ne s'explique pas uniquement pas la politique de taux bas des banques centrales, qui a permis à de nombreux investisseurs de financer des activités toujours plus disruptives. Il s'explique également, dans un contexte de crise sanitaire, par l'adoption de nouvelles habitudes de vie et de travail des citadins. Plus portés sur le télétravail, jonglant souvent avec des horaires décalés et de multiples contraintes contradictoires, nombreux sont les adeptes de ces commandes en ligne rapides par l'intermédiaire d'applications ergonomiques.

Comme souvent avec des activités telles que celles portées par les start-ups, le cadre juridique applicable aux locaux dans lequel s'exerce le quick commerce n'apparaît pas totalement adapté. Au regard du droit de l'urbanisme en particulier, il n'est pas toujours aisé de déterminer la destination de construction des dark stores.

La problématique des destinations de construction

Pour mémoire, l’ancien article R. 123-9 du code de l'urbanisme prévoyait initialement que le règlement du plan local d'urbanisme (PLU) pouvait fixer les sujétions applicables aux constructions selon leurs destinations. Parmi les 9 destinations figuraient en particulier le commerce, l'artisanat ou encore la fonction d'entrepôt.

Ces règles ont été modifiées par décret en Conseil d'Etat à la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2013 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (dite "ALUR"). Ainsi, 5 destinations, décomposées en 21 sous-destinations, ont été substituées aux 9 destinations antérieures. Les destinations pertinentes pour notre sujet sont susceptibles d'être les suivantes : "commerces et activités de service" et "autres activités des secteurs secondaires ou tertiaires", conformément aux dispositions des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l'urbanisme.  Un arrêté ministériel du 10 novembre 2016 définit ces destinations et sous-destinations dans un souci d'harmonisation.

  • La destination "commerces et activités de service" comprend notamment la sous-destination "artisanat et commerce de détail", qui recouvre les constructions commerciales destinées à la présentation et vente de bien directe à une clientèle ainsi que les constructions artisanales destinées principalement à la vente de biens ou services.

  • La destination "autres activités des secteurs secondaire et tertiaire" comprend notamment la sous-destination "entrepôt", qui recouvre les constructions destinées au stockage des biens ou à la logistique.

La problématique à laquelle peuvent être confrontées les entreprises du secteur du quick commerce est de s'assurer que la destination des locaux occupés par leurs dark stores est cohérente avec la nature de leur activité.

Certains PLU font encore applications des anciennes destinations ; on dit qu'ils n'ont pas été "alurisés". C'est notamment le cas à Paris, bien que cette situation demeure transitoire. Dans cette hypothèse, il est possible de s'interroger sur l'éventuelle application, par référence, des nouvelles destinations et sous-destinations.

Commerce ou entrepôt ?

A la lecture des définitions exposées plus haut, on pourrait considérer que les dark stores constituent de simples entrepôts destinés au stockage des denrées distribuées par les livreurs en moins de dix à quinze minutes après l'enregistrement de la commande du consommateur sur l'application idoine.

C'est d'ailleurs ce que conclut le Gouvernement dans une fiche technique intitulée "Modalités de régulation des dark stores" publiée le mois dernier. La principale difficulté posée par cette interprétation est que tous les dark stores n'occupent pas des locaux répondant à cette destination de construction.

Au-delà de la qualification d'entrepôt, les dark stores peuvent également, selon leurs caractéristiques, correspondre à la destination "commerces et activités de service" et à la sous-destination "artisanat et commerce de détail". Tel peut en particulier être le cas lorsque le local permet l'accueil des clients, notamment pour le retrait de marchandises. Dans cette hypothèse et en dépit de l'anglicisme le définissant, le dark store correspondrait à une traditionnelle épicerie, le design et le marketing 2.0 (ou 3.0) en plus.

Cette évolution des dark stores semble d'ailleurs répondre aux critiques de riverains et de certaines autorités municipales, qui reprochent à ces nouveaux commerces de substituer une façade souvent opaque à une vitrine avenante ouverte sur l'extérieur. Elle n'est d'ailleurs pas totalement inédite dans la mesure où les opérateurs du quick commerce avaient souvent développé une activité accessoire de retrait des achats, notamment par l'intermédiaire de l'application anti-gaspillage Too Good Too Go.

Risques et opportunités

Il convient de garder à l'esprit que chaque local est différent et que l'activité de chaque enseigne de quick commerce n'est pas nécessairement identique. Les contraintes - et par conséquent les risques - peuvent varier. La présente analyse constitue une grille de lecture à adapter au cas par cas.

Les principaux risques résident dans les sanctions de nature pénale (infraction donnant lieu à une amende, régularisation ou démolition du dark store) mais également de nature administrative (mise en demeure de régulariser sous astreinte les défauts de conformité) susceptibles de s'appliquer en cas d'implantation méconnaissant les contraintes de leur destination.

A cet égard, l'offensive en cours lancée par certaines municipalités à l'encontre de plusieurs enseignes de quick commerce met en évidence le niveau élevé de risque pesant actuellement sur cette activité, et la nécessité pour ces enseignes de définir rapidement une stratégie de mise en conformité ou d'action contentieuse. Rappelons, par exemple, que la Mairie de Paris a développé un formulaire de signalement en ligne de dark store à destination de ces citoyens.

Ce recours à un signalement "citoyen" met également en lumière la nécessité pour les enseignes de dark stores de définir dans leur stratégie un volet relatif à l'acceptation par les riverains de leurs implantations, d'autant plus crucial que le retour à la "convivialité" des centres-villes est dans l'air du temps.

Au regard de ces éléments, les enseignes de quick commerce gagneraient donc à anticiper l'ouverture de leurs locaux à l'accueil du public. Anticiper cette contrainte leur permettrait d'en définir les modalités précises (amplitude horaires, réalisation des travaux nécessaires au moment de l'implantation) et de réduire les coûts du projet (implantation accélérée, conflictualité réduite).

Le contexte actuel, quoique hostile sur le territoire de certaines municipalités, semble cependant favorable à la mise en place de ces évolutions. Comme cela ressort en effet de la fiche technique émise par le Gouvernement (qui n'a toutefois pas de valeur contraignante pour les communes), l'heure est encore à la concertation locale et à l'organisation d'une "période de transition" permettant aux enseignes de quick commerce de se mettre en conformité avec la règlementation.

Il fait peu de doute que ce qui précède ne constitue qu'un point d'étape sur le cadre juridique applicable à une activité appelée à évoluer rapidement, voire à se concentrer eu égard au nombre d'opérateurs présents sur le marché.